La revue Socio lance un appel à contributions sur la thématique « Science et science-fiction ».
Le dossier est coordonné par Stéphane DUFOIX (Laboratoire Sophiapol, université Paris Nanterre) et Julien WACQUEZ (CEFRES, USR 3138 CNRS-MEAE, EHESS). Les intentions de contributions (titre, résumé de deux pages et bibliographie) doivent être envoyées à Socio avant le 31 octobre 2017. Après acceptation des intentions, les articles devront être remis pour le 19 février 2018.
Argument
Parmi les écrivains de science-fiction, certains mobilisent des connaissances scientifiques déjà établies, ou suffisamment crédibles, pour donner forme à leurs récits. Les lecteurs qui ont déjà parcouru ces textes ont conscience du trouble qu’ils provoquent ; ils posent des problèmes qui attendent d’être résolus par l’activité scientifique. À ce titre, ces récits constituent autant de sources d’idées, de concepts, d’objets, d’hypothèses et de questionnements dont les chercheurs font parfois usage afin de mener à bien leurs enquêtes. C’est le cas par exemple en astrobiologie, discipline qui spécule sur les formes de vies extraterrestres que nous pourrions rencontrer sur d’autres planètes, à partir de la lecture de récits comme Solaris de Stanislas Lem (Helmreich, 2009) ; ou en astrophysique, lorsque les scientifiques cherchent des technologies d’explorations spatiales nouvelles qui rendraient les voyages moins coûteux et plus accessibles, en s’inspirant notamment (mais pas seulement) du roman The Fountain of Paradise d’Arthur C. Clarke et en s’interrogeant sur les possibilités de réalisation technique du « Space Elevator » qui y est décrit (voir sur ce point l’ouvrage dirigé par l’astrophysicien David Raitt, 2017). Ces exemples ne doivent pas cacher l’existence de telles pratiques dans d’autres disciplines scientifiques et dans les sciences sociales. Ainsi, des chercheurs semblent faire leur travail scientifique avec la science-fiction.
Dès lors, travailler sur la science-fiction nécessite de s’interroger sur la façon dont on comprend les affinités entre ce genre d’écriture et l’activité scientifique. Pourquoi certains chercheurs font-ils effectivement usage des récits de science-fiction au cours de leurs enquêtes ? Par quelles opérations (traduction, redescription, transposition, etc.) aménagent-ils la possibilité de faire appel à des éléments de science-fiction dans un cadre scientifique pourtant hautement formalisé ? Quels contextes de recherche et quels objets d’études sont privilégiés par ces individus à la fois scientifiques et lecteurs de science-fiction ? Enfin, pourquoi certains de ces scientifiques écrivent-ils de la science-fiction en plus de leurs travaux académiques ?
Le dossier de Socio sur « Science et science-fiction » souhaite réunir des études qui, sans postuler leur équivalence ou leur confusion, ne créent pas de séparation totale entre la littérature d’un côté et la science de l’autre. En ne présupposant ni l’existence de ces catégories (littérature/science), ni celle de champs sémantiques différenciés, on s’autorise d’une part à penser la science comme un espace d’imagination, de création et d’extrapolation et, d’autre part, à penser la littérature comme espace d’observation, de contraintes et de production de connaissances. En ne postulant aucune définition préalable, on se focalise, comme l’a préconisé Vincent Debaene dans son ouvrage L’Adieu au voyage, sur ce que font les écrivains – qu’ils soient chercheurs ou auteurs de science-fiction ou les deux – et leurs lecteurs.
Pour ce dossier, l’ambition est de prendre au sérieux les récits de science-fiction et leur effectivité sur différents domaines scientifiques en la problématisant, soit de suivre les acteurs dans leurs pratiques de lecture, d’écriture, d’investigation scientifique et/ou littéraire, en se posant différentes questions :
quels rapports les scientifiques (que ce soit en sciences de la nature ou en sciences sociales) entretiennent-ils avec la science-fiction au cours de leurs activités de recherche ? De quelles manières en font-ils « usage » ?
quelles techniques d’écriture sont mobilisées par les « producteurs » de littérature de science-fiction (écrivains, éditeurs, universitaires) pour rendre leur récit tangible (Chateauraynaud, 2004) scientifiquement ?
comment s’y prennent-ils pour faire des connaissances scientifiques les enjeux d’une intrigue ?
comment ces récits sont-ils évalués et appréciés ?
cherchent-ils à créer des liens individuels ou institutionnels avec la science ?
Cet appel invite les contributeurs à réfléchir sur les formes d’écriture, la façon dont elles participent aux processus de production de connaissances et aux choix des échelles d’analyse pertinentes. Faut-il mettre la focale sur la paire texte/lecture, comme l’a conceptualisé Eric Livingston dans An Anthropology of Reading, pour saisir ce qui se joue au moment où un récit de science-fiction est lu et, par-là, comprendre comment des lectures scientifiques de ces récits se font jour ? Faut-il pratiquer une sociologie historique de la constitution de certaines problématiques scientifiques, à caractère spéculatif, qui se dessinent sur plusieurs années ou plusieurs décennies et auxquels participent, ou sont mis à profit, des textes de science-fiction ?
Enfin, l’interrogation sur les interactions entre sciences et littérature de science-fiction s’inscrit dans une réflexion plus large sur la manière dont nous pouvons comprendre et décrire les « liens » entre ces différentes formes d’écriture. Avec quelles méthodes et avec quels concepts, quels vocabulaires, pouvons-nous rendre compte des affinités existant entre littérature de science-fiction et activité scientifique ? Comment abandonner une approche « ontologique », qui présupposerait une différence de nature entre la science d’un côté et la littérature de l’autre ?
Calendrier
Les propositions d’articles d’environ 5 000 signes (2-3 pages, bibliographies et notes incluses) sont à soumettre jusqu’au 31 octobre 2017 au secrétariat de rédaction : <socio@msh-paris.fr>. Elles devront permettre de saisir précisément à la fois les matériaux de recherche sur lesquels reposera l’article, ainsi que sa problématique et la démarche intellectuelle dans laquelle l’auteur s’inscrit, les principales thèses et résultats des recherches menées et les principales notions et références mobilisées.
Après acceptation de la proposition, l’article, autour de 30 000 signes (notes et bibliographie comprises), devra parvenir à la revue au plus tard le 19 février 2018. Il sera alors soumis au comité de lecture de la revue et à des rapporteurs extérieurs.
Il est attendu un effort particulier sur l’écriture et un style qui mettent suffisamment en perspective les enjeux de l’article pour qu’il puisse susciter un intérêt au-delà d’un cercle restreint de spécialistes.
Les auteurs sont invités à respecter autant que possible les recommandations figurant sur le site de la revue à l’adresse : <https://socio.revues.org/547>.
Références
Chateauraynaud, Francis, 2004, « L’épreuve du tangible : expériences de l’enquête et surgissement de la preuve », Raisons pratiques, numéro sur La croyance et l’enquête. Aux sources du pragmatisme, vol. 15, p. 167-194.
Debaene, Vincent, 2010, L’adieu au Voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard.
Galison, Peter, 2010, « Trading with the Enemy », dans Michael E.Gorman (éd.), Trading Zones and International Expertise: Creating New Kinds of Collaboration, Cambridge, The MIT Press, p. 25-52.
Hache, Émilie (dir.), 2014, De l’univers clos au monde infini, Bellevaux, Éditions Dehors.
Helmreich, Stefan, 2009, Alien Ocean: Anthropological Voyages in Microbial Seas, Berkeley, University of California Press.
Livingston, Eric, 1995, An Anthropology of Reading, Bloomington, Indiana University Press.
Raitt, David (éd.), 2017, Space Elevators: A History, International Space Elevator Consortium, Lulu.com.
Rastier, François, 2001, Arts et sciences du texte, Paris, PUF.