Argumentaire
Dans le prolongement de la réflexion engagée par la revue CIRCAV sur les relations entre médias audiovisuels et innovations technologiques[1], ce vingt-sixième numéro porte sur la rencontre du cinéma avec une technologie spécifique : Internet. Parce qu’elle permet la mise en réseaux des ordinateurs à un niveau global, la généralisation de l’usage du protocole Internet déplace le cadre traditionnel dans lequel évoluait le cinéma, qu’on appréhende celui-ci comme système de représentations, industrie culturelle ou objet d’une médiation artistique de la part des publics. Pour saisir cette diversité, ce numéro de la revue CIRCAV développera trois axes de réflexion.
Un premier axe envisagera la rencontre Internet/cinéma sous l’angle de la représentation.
On pourra par exemple s’interroger sur la façon dont les films de fiction participent de la polarisation du débat sur « les effets », positifs ou négatifs, des technologies de mise en réseaux. Certains films se présentent en effet comme des discours utopiques, saluant un Internet révolutionnaire servant l’idéal démocratique (8th Wonderland, Nicolas Alberny/Jean Mach, 2008), offrant de nouveaux modes de rencontre amoureuse (You’ve Got Mail, Nora Ephron, 1998 ; Chercher le garçon, Dorothée Sebbagh, 2012) ou permettant le maintien d’un lien social à distance grâce à une Webcam (Forgetting Sarah Marshall, Nicolas Stoller, 2008). À l’inverse, on peut trouver des visions dystopiques, qui mettent en scène les dérives du fichage des individus (The Net, Irwin Winckler, 1995), le danger des identités et relations virtuelles (Perfect Stranger, James Foley, États-Unis, 2007 ; Chatroom, Hideo Nakata, 2010), de l’anonymat des rencontres en ligne (Trust, David Schwimmer, 2010) ou de la dimension voyeuriste du Web (Feardotcom, William Malone, 2002).
Ce premier axe accueillera également des textes portant sur la représentation des professions de l’Internet, qu’il s’agisse d’informaticiens (The Social Network, David Fincher, 2010), d’experts en cybersécurité (Firewall, Richard Loncraine, 2006) ou dehackers (WarGames, John Badham, 1983 ; Swordfish, Dominic Sena, 2001 ; The Girl with the Golden Tatoo, David Fincher, 2011).
Un deuxième axe portera sur la présence du cinéma sur Internet, abordée sous l’angle de la circulation des films comme de leur valorisation.
On pourra ainsi s’interroger sur l’accessibilité des œuvres en ligne, par le biais des plateformes participatives, des sites de streaming, du partage de fichiers en peer-to-peer ou des moteurs de recherche de torrents. Les textes souhaitant discuter la relation entre le mode de partage et le type ou « genre » de film partagé seront particulièrement appréciés : on peut en effet se demander si certaines formes cinématographiques sont associées, dans la pratique des spectateurs-internautes, à certains types de médiation numérique. Les approches socioéconomiques sont encouragées, notamment celles qui porteront sur les enjeux actuels autour du financement de la création : en effet, comment intégrer les pratiques de consommation illégale ou l’arrivée de plateformes de vidéo-à-la-demande comme Netflix à l’économie du film, en particulier en termes d’obligation de soutien financier à la production de contenus ?
On pourra également s’intéresser à la place d’Internet dans les stratégies contemporaines de promotion des œuvres cinématographiques. Le marketing des films se déploie amplement sur la toile, où des sites, des pages et des comptes dédiés sur les réseaux sociaux numériques permettent de relayer les campagnes publicitaires accompagnant la sortie des films. Les textes porteront sur des cas d’étude (la promotion d’une œuvre spécifique ou d’un corpus cohérent – les films d’un genre, d’un studio, d’un distributeur particulier) ou envisageront la question sous un angle plus théorique.
Un troisième axe abordera la relation Internet/cinéma sous l’angle de la réception. Il s’agira de renseigner la façon dont Internet peut réactualiser, décaler, changer les processus de réception et d’interprétation des films, comme encourager de nouveaux rapports à l’art cinématographique. Plusieurs sous-axes peuvent être envisagés.
D’une part, sont attendus des textes étudiant l’émergence et le développement d’une critique se revendiquant comme « amateure », que cette revendication soit le fruit des acteurs sociaux singuliers (par exemple les blogueurs cinéphiles, qui sont souvent plus lus que les critiques traditionnelles associées à des titres de presse) ou de sites d’institutions du secteur audiovisuel (par exemple les pure players comme Allociné, qui fondent une grande partie de leur légitimité sur la prise en compte prioritaire des « goûts du public », via la notation des films par les spectateurs-internautes).
D’autre part, on peut se demander si la visibilité accrue du cinéma sur Internet et, corollairement, de formes cinématographiques auparavant plus difficiles d’accès (comme certaines franges du cinéma bis ou « de genre », régulièrement soumis à la censure), n’a pas pour effet d’initier ou d’inviter de nouvelles cinéphilies, très liées aux cultures numériques. Les textes qui voudraient étudier les « cinéphilies connectées » (ou « cinéphilies 2.0 », quoique l’appellation soit plus contraignante) seront donc particulièrement appréciés, surtout s’ils concernent des cinéphilies de niche ou liées à des formes filmiques marginalisées et illégitimées, qu’Internet rend visible (on peut songer, par exemple, à l’audiovisuel pornographique, à certaines déclinaisons du cinéma d’horreur ou des cinémas expérimentaux).
On pourra enfin s’interroger sur les implications des déclarations cinéphiliques sur Internet, notamment sur la place de la cinéphilie dans l’expression et la construction de soi sur les réseaux sociaux et les sites invitant une présentation individuelle.
Modalités de soumission
Les propositions de contribution (en français, 3000 signes maximum), accompagnées d’une courte bio-bibliographie de l’auteur, sont à envoyer par mail à chloe.delaporte@gmail.com.
Les propositions de contributions seront évaluées en double aveugle par la coordinatrice du numéro (Chloé Delaporte, Maître de conférences en études cinématographiques à l'Université Paul Valéry - Montpellier 3, chercheuse au RIRRA21), ainsi que par les membres du comité de rédaction de la revue CIRCAV (dont la liste est publiée sur le site Internet de la revue : http://circav.revue.univ-lille3.fr/equipe.php)
Comité de rédaction
- Marité Birault,
- Marie-France Chambat-Houillon,
- Christine Charrier,
- Aurélia Lamy,
- Alphonse Cugier,
- Yannick Lebtahi,
- Patrick Louguet,
- Gisèle Scottez-Cugier,
- Tiphaine Zetlaoui.
[1] Revue CIRCAV n° 25, « Trucage et télévision » (coord. Réjane Vallée), à paraître en 2016 ; revue CIRCAV n°22, « Cinéma(s) et nouvelles technologies. Continuités et ruptures créatives » (coord. Patrick Louguet et Fabien Maheu), 2011.