VISAGES À CONTRAINTES - Formes du portrait à l’ère électro-numérique - des années 1960 au début du XXIe siècle
17-18 octobre 2017
Université Jean Monnet - Saint Etienne
ARGUMENTAIRE
Là où il y a visage, il y a problématisation du pouvoir : pouvoirs éthique, politique, esthétique, technique, médiatique (qui est peut-être tout cela à la fois). Rien d’étonnant donc que le visage soit aujourd’hui le théâtre d’autant de déchirements, au travers desquels se pose à nouveau l’éternel conflit entre iconoclasme et iconodulie. L’histoire du visage est celle de l’image et de sa capacité à troubler le réel et sa représentation. Et l’histoire actuelle de sa médiatisation technique – que ce soit du côté de sa reproduction ou de sa réception – nous oblige à en reconsidérer la nature. Le présent colloque se propose donc d’interroger la part active jouée par le champ technologique dans le déplacement, voire la réinvention, depuis les années 1960, du genre classique du portrait.
Comme l’indique à juste titre Hans Belting, « avec l’ère médiatique, l’histoire du visage a pris un nouveau cours » qui se caractérise par sa « consommation effrénée » (Belting 2013). Les visages sont partout, médiatisés par les affiches publicitaires, les magazines, les médias audiovisuels de masse, les réseaux sociaux (selfies, profils Instagram, Facebook etc.) - partout, mais également indifférenciés, par un trop plein de visibilité. Ils débordent également le seul cadre de la représentation en devenant les sujets objectifs de nos machines de vision automatisées : reconnaissance faciale, eye tracking, etc. Même dans leur effacement, leur occultation politique, religieuse, esthétique (Rainer, Bacon, Aziz + Cucher…) les visages sont des appareils symboliques qui supplantent la face comme simple surface en en codifiant les traits (principe de visagéification, pour reprendre la terminologie Deleuzienne). Et c’est là également l’une des fonctions du portrait – en tant que transport du visage : celle de travestir les traits physionomiques en semblant de signification. À la fois « il reproduit, il interpelle et il est fondé de pouvoir » (Nancy 2014).
Si les théories du cinéma, de la vidéo et des nouveaux médias (Deleuze 1983-85, Aumont 1995, Thely 2002, Cauquelin 2003…) ont su problématiser l’articulation entre le domaine technique et la re-présentation du visage - à travers par exemple l’esthétique du gros plan - son histoire s’inscrit dans un héritage plus ancien. En effet, dès le XVe siècle le portrait – considéré comme forme occidentale et profane de figuration du sujet individuel – s’appuie sur une articulation étroite entre visage (du modèle), progrès des techniques de représentation, et interfaces de vision. À titre d’exemple, l’amélioration des techniques de fabrication des miroirs (« miroirs vénitiens »), au début du XVe siècle, permettra au reflet d’investir l’espace de représentation, soit comme objet de production de l’image (le miroir en tant que modèle de figuration), soit comme sujet représenté. Dans le premier cas, le miroir - qui est appareil de vision - permettra, si non l’émergence, du moins le développement de l’autoportrait en tant que forme picturale. Il induira l’émancipation de l’artiste lui conférant le statut de sujet de figuration autonome (Autoportrait de Dürer, de 1500 ; Autoportrait au miroir de Le Parmesan, de 1503). Parallèlement, son inclusion dans l’espace pictural conduira à une redéfinition de la place spectatoriale, en intégrant celle-ci dans le principe de figuration de l’œuvre et en en autorisant la représentation, et par la même occasion la possible portraitisation du spectateur (Les époux Arnolfini de Jan Van Eyck, 1432).
Cette intrication entre donnée technique et représentation du visage sera prolongée au XIXe siècle par l’invention de la photographie et du cinématographe. Puis, au XXe siècle, les « contraintes » technologiques imposées par les appareils de capture et de reproduction provoqueront à la fois l’isolement de la face ainsi que son grossissement (principe du gros plan). Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’adoption par les artistes des médias électroniques, puis électro-numériques, mettra en évidence la négociation souvent violente entre le cadre restrictif et contraignant imposé par l’appareil de vision et l’émergence du visage-portrait. Isolés, extrêmement rapprochés, sur-cadrés, dévisagés, électrifiés, les visages vidéographiques de Vito Acconci (Open Book, 1974), de Bruce Nauman (Lip Sync, 1969), de Gary Hill (Primary, 1978), de Ulf Langheinrich et Kurt Hentschläger (Modell 5, Granular Synthesis, 1994), souligneront la force procédurale exercée par nos machines sur l’émergence d’une forme de visagéité médiatique symptôme de notre époque contemporaine. Elle se prolongera dans les formes hybridées, recomposées, numérisés, synthétisées, lissés, d’expériences photographiques comme celles menées par Aziz + Cucher (Dystopia, 1994), Orlan (Selfhybridations, 1998-2002), ou encore Robert Gligorov (Orange Face, 1997). Puis, avec les projets interactifs de Luc Courchesne (Portrait One, 1990), ou plus récemment de Vincent Elka (Sho(u)t, 2007), le portrait renouera avec le dispositif inclusif hérité de la modernité - Les Ménines (1656) de Velasquez, etc. – en englobant le corps du spectateur dans le circuit court du face-à-face avec l’image simulée.
Enfin, le genre du portrait n’est pas seulement à chercher du côté de la représentation, de l’image destinée à être vue par le spectateur. Un nombre foisonnant de dispositifs automatisés actuels font du visage individuel – et spectatorial - un espace d’observation constant. Les techniques de reconnaissance faciale, d’analyse oculaire (eye tracking) permettent de déplacer la notion de portrait du côté de la machine en train d’observer le sujet. On parle bien de « portrait robot », pour qualifier cet ensemble d’informations, d’indices, qui rendent possible l’identification et la description d’une personne donnée. Dans ce contexte particulier la notion d'inter-face trouve le lieu adéquat de sa définition : un face-à-face, un « entre les visages » - pour reprendre une formule chère à Peter Sloterdijk – entre une face réelle (celle du spectateur), et l'autre simulée (l’œil de traitement numérique). Que ce soit par des procédés d'analyse émotionnelle ou de suivi de regard, le visage est au centre du fonctionnement cognitif de la machine, et, avec lui, celui des œuvres qui en exploitent les principes, comme par exemple Taken (2002) de David Rokeby, Eye Code (2007) de Golan Levin, ou encore Physiognomic Scrutinizer (2009) de Marnix de Nijs.
Le présent colloque permettra d’interroger cette double articulation entre, d’une part, le visage en tant qu’objet de représentation, de monstration, et de l’autre, le visage comme objet d’observation et d’analyse machinique. Il ne sera pas nécessairement question de tisser une histoire du portrait médiatisé contemporain, mais plutôt de réfléchir aux inflexions, voire aux redéfinitions de la nature du portrait en tant que forme classique de l’histoire de l’art et de l’étude esthétique. La période choisie – des années 1960 à aujourd’hui – tend à circonscrire un cadre historique dans lequel les technologies électroniques et électro-numériques semblent s’imposer massivement dans les modalités de construction et de réception des œuvres. Cette imposition technologique nous fait donc avancer l’idée de « visages à contraintes », au travers de laquelle se tisse ce lien d’interdépendance (« contrainte », de constringere : « lier ensemble, enchaîner, contenir »), de réciprocité immédiate, entre opération technologique et émergence de nouvelles visagéités.
AXES THÉMATIQUES (liste non restrictive)
- Représentation du visage de la seconde moitié du XXe au XXIe siècle
- Visage et techniques numériques de représentation
- Histoire du portrait contemporain
- Reconnaissance et analyse faciale dans le champ de l’art
- Visage appareillé et arts numériques
- Systèmes d’identification
- Interfaces oculaires
- Visage et duplication mécanisée
- Visage recomposé
- Portrait, représentation de soi et réseaux sociaux
- Identité et art en réseau
- Anthropologie du visage et de sa représentation
- Visage augmenté et prothèses faciales
- Expressivité faciale et jeu instrumental
- Visage, oralité, textualité
- Visage interfacé et mise en récit
- Mapping facial
- Visage cartographié
- Morphing
CALENDRIER
- Soumission des résumés : 15 juin 2017 (3000 signes min.)
- Notification aux auteurs : 30 juillet 2017
- Conférence : 17-18 octobre 2017
- Envoi des textes définitifs pour publication : 30 novembre 2017
CONTACT
Vincent CICILIATO : vincent.ciciliato@univ-st-etienne.fr
SOUMISSION
Les propositions de communication (résumé au format .doc ou .pdf, de 3000 signes minimum) sont à envoyer par courrier électronique (vincent.ciciliato@univ-st-etienne.fr), avant le 15 juin 2017.
COMITÉ D’ORGANISATION
Vincent CICILIATO – Maître de conférences - Université Jean Monnet – Saint-Étienne
Laurent POTTIER – Maître de conférences HDR - Université Jean Monnet Saint-Étienne
Marc VEYRAT – Maître de conférences - Université de Savoie Mont-Blanc
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Vincent CICILIATO – Maître de conférences - Université Jean Monnet Saint-Étienne
Sébastien DENIS – Professeur – Université Jules Verne Amiens
Florent DI BARTOLO – Maître de conférences - Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Thierry DUTOIT – Professeur – Université de Mons
Itzhak GOLDBERG – Professeur émérite - Université Jean Monnet Saint-Étienne
Anna GUILLó – Maître de conférences HDR – Aix-Marseille Université
Sophie LECOLE – Maître de conférences - Université Toulouse II Jean Jaurès
Laurent POTTIER – Maître de conférences HDR - Université Jean Monnet Saint-Étienne
Marc VEYRAT – Maître de conférences - Université de Savoie Mont-Blanc
Karen O’ROURKE – Professeur - Université Jean Monnet Saint-Étienne
Françoise PARFAIT – Professeur - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Anolga RODIONOFF - Professeur - Université Jean Monnet Saint-Étienne