Journée d’étude le 9 mai 2018, de 9h à 18h, au Muséum national d’Histoire naturelle, amphithéâtre Rouelle, 57 rue Cuvier, 75005, Paris
Organisée par la Société psychédélique française (Vittorio Biancardi, Zoë Dubus, Élise Grandgeorge, Sara Velimirovic, Vincent Verroust)
Contact : Vincent Verroust (vincent.verroust@ehess.fr)
Les conférences seront intégralement filmées et retransmises ultérieurement sur YouTube.
Le champ des Psychedelic Studies s’affirme et s’autonomise aujourd’hui, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. La journée d’étude Études psychédéliques : approche historique de la construction d’un champ disciplinaire souhaite présenter les travaux de chercheurs en sciences humaines qui étudient les usages des substances psychédéliques au XIXe et au XXe siècle. Elle constitue la première du genre en France, en ce qu’elle a pour objet spécifique le champ d’étude ouvert par la découverte de substances psychoactives dites “psychédéliques”, selon le terme forgé en 1956 par le psychiatre britannique Humphry Osmond. Dans une approche interdisciplinaire, ces travaux interrogent les usages de ces substances, que ceux-ci soient liées à des activités scientifiques, artistiques, politiques ou encore à une quête de performance. Certaines de ces recherches analysent les processus qui amènent à leur rejet ou à leur acceptation. D’autres encore interrogent leur potentiel créatif. Enfin, la conférence de Robin Carhart-Harris, emblématique de la “renaissance psychédélique”, permettra la mise en perspective de la documentation historique et des recherches contemporaines menées avec la psilocybine en thérapeutique.
Si la recherche sur ces substances, longtemps influencée par des représentations défavorables, est en train d’évoluer depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays étrangers (États-Unis, Angleterre, Suisse, Espagne, Israël…) la France reste quant à elle significativement en retrait. Une législation nationale restrictive y contribue sans doute ; le manque d’information disponible en langue française est certainement aussi un frein important à la diffusion des travaux étrangers. Il apparaît par conséquent nécessaire d’œuvrer à une meilleure réception des travaux sur les psychédéliques en France, de manière à enrichir et stimuler les questionnements des chercheurs, notamment dans le domaine de la santé. Cette journée offrira donc l’opportunité d’une discussion entre histoire, médecine, pharmacie, anthropologie et philosophie.
Les conférences auront lieu au Muséum national d’Histoire naturelle, établissement de recherche historique où virent le jour les premiers travaux sur les champignons à psilocybine, dès 1953, avec les investigations de Roger Heim. La journée d’étude Études psychédéliques : approche historique de la construction d’un champ disciplinaire constitue la première d’une série de rencontres sur la thématique, organisées par un groupe de chercheurs d’affiliations académiques diverses, réunis en association, pour promouvoir les études psychédéliques.
Programme
Matinée :
• Introduction, par Sara Velimirovic (SSDP) et Vincent Verroust (CAK, IHM)
• “Une science est née”. Roger Heim et la découverte des champignons divinatoires du Mexique
Vincent Verroust (CAK, IHM) :
o À partir de l’étude historique de la découverte des champignons divinatoires du Mexique par le Professeur Roger Heim du Muséum national d’Histoire naturelle, suite à sa collaboration avec les époux Wasson, un couple d’ethnologues extra-académiques états-uniens, nous verrons comment un dialogue pionnier et fécond s’établit entre des disciplines jusque là disjointes telles que : la mycologie, l’ethnologie, la biologie culturale, la psychiatrie, l’archéologie l’histoire de l’art et même la parapsychologie. Nous verrons aussi comment la découverte des champignons divinatoires peut être analysée comme la rencontre de savoirs et savoir-faire scientifiques avec ceux des amérindiens mazatèques. À partir des écrits de Roger Heim, notamment de sa correspondance, nous pourrons examiner comment fut domestiqué un type d'expérience psychique alors jusque là quasiment inconnu de la science et quelles ont été les conséquences de cette rencontre sur l’intellection d’un savant.
• Les programmes expérimentaux impliquant l’usage de psychédéliques avec des artistes dans les années 1950 et 1960
Élise Grandgeorge (HAR) :
o Au cours des années 1950-1960 plusieurs protocoles expérimentaux de substances psychédéliques (LSD et psilocybine principalement) en psychiatrie et en psychologie ont intégré dans leur cadre des artistes. Des expérimentations quantitatives et qualitatives sont menées. Dans certains cas, le questionnement qui motive l’expérimentation est celui d’un possible accroissement de la créativité provoqué par la substance ingérée. Dans d’autres cas, face au constat partagé de la difficulté de rendre compte par le moyen du langage de l’expérience psychédélique, le recours à l’artiste permet d’espérer une communication plus entière et subtile de l’expérience vécue. Dans ces mêmes années, hors du cadre du laboratoire certains artistes ont souhaité transmettre au plus près l’expérience psychédélique. Allant au delà des productions linguistiques et visuelles, un art psychédélique émerge alors, qui au recours de la technologie et par l’intermédiaire de la machine, propose au spectateur de vivre une expérience pensée comme étant comparable, si ce n’est identique, à celle des hallucinogènes. Proches du biofeedback training, conceptualisé dans le champ scientifique dans les années 1970, ces œuvres souhaitent modifier très directement l’état de conscience de celui qui l’expérimente.
• Psychédéliques, créativité et flexibilité cognitive
Martin Fortier (IJN, Stanford University) :
o Dans les années 1960 et 1970, lorsque la recherche sur les psychédéliques battait son plein, de nombreuses expériences furent menées afin d’explorer le potentiel créatif de ces substances. En raison de leur manque de rigueur méthodologique, ces travaux furent toutefois peu concluants. Je me propose ici d’explorer à nouveaux frais la question des psychédéliques et de la créativité. Je me reposerai pour ce faire non seulement sur des travaux classiques, mais également et avant tout sur série d’études récemment parues. Je poserai dans un premier temps quelques distinctions conceptuelles importantes tirées des modèles bayésiens de la cognition (par ex. la différence entre la créativité procédant d’un affaiblissement des hypothèses a priori et celle procédant d’un élargissement de l’espace d’hypothèses). Ces clarifications faites, j’évaluerai le potentiel créatif des psychédéliques en les comparant à d’autres substances psychoactives (comme la kétamine et les agents antimuscariniques) ainsi qu’à la cognition éminemment flexible des jeunes enfants. Je me demanderai par ailleurs si la flexibilité introduite par les psychédéliques opère aussi bien dans le domaine de la cognition que dans celui de la perception.
• Projection du film Entrée libre - champignons et hallucinations, émission de télévision produite en 1966 par l’ORTF et réalisée par Jean Lallier (30’43’’)
o Consacrée à la prise de champignons hallucinogènes, traitée sous l'angle historique, ethnologique mais aussi clinique et thérapeutique, l’émission alterne des extraits commentés du film Les champignons hallucinogènes du Mexique, réalisé par Pierre Thevenard en 1963, et un entretien avec le professeur Roger Heim du Muséum national d’Histoire naturelle. Elle constitue un document précieux sur les investigations interdisciplinaires sur l’expérience psychédélique en France.
• Table ronde de la matinée, présidée par Claude Blanckaert, historien des sciences (CAK, CNRS). Discutants :
o Jelena Martinovic, chercheure post-doctorante en histoire de la médecine et de la santé publique (IAS, UCL, IHM)
o Pascal Rousseau, professeur d’histoire de l’art (UP1PS, HiCSA)
o Éléonore Willot, chercheure en art et esthétique (UB, CGC)
Après-midi :
• Substances psychédéliques au quotidien : une histoire sociale de la “bonne dose” de 1943 à aujourd'hui
Vittorio Biancardi (CRH) :
o Mon propos consiste en une analyse en deux temps d'une pratique qui apparaît aujourd'hui de plus en plus répandue au sein de la communauté des consommateurs de substances psychoactives : la consommation de substances psychédéliques à doses perçues comme subliminales (sub-threshold ou sub-perceptual doses) ou presque. Premièrement, je présenterai une histoire de l'usage de drogues psychédéliques à faible dose de 1943 jusqu'à présent, en particulier à partir des groupes de la contre-culture italienne dans la période 1960-1980. Dans un deuxième temps, je présenterai les premiers résultats d’une enquête fondée sur des entretiens avec des usagers, l’analyse de forums et de questionnaires en ligne, afin de cartographier l'utilisation contemporaine des psychédéliques à faible dose. Il s’agira de définir une pratique en progression et qui pourrait, par hypothèse, constituer une modalité d'utilisation thérapeutique nouvelle.
• La morphinophobie comme modèle des savoirs naïfs empêchant l'utilisation médicale des psychédéliques
Zoë Dubus (UMR Telemme)
o La prise en charge de la douleur par la morphine a mis presque deux siècles à s’installer dans les pratiques médicales en France . Le développement de son usage dans la deuxième moitié du XIXe siècle aurait pu laisser croire que l’analgésie deviendrait courante au XXe siècle. En réalité, la peur de la morphinomanie, qui apparait dans les années 1870 et la loi de 1916 l’assimilant à un stupéfiant, provoquèrent une telle méfiance des professionnels de santé que ces problématiques ne refirent réellement surface qu’aux alentours des années 1990. La morphinophobie, idée selon laquelle la morphine serait une substance trop dangereuse pour être utilisée, pèsera lourdement sur la pratique médicale française. Sa réhabilitation nous permet d’utiliser la morphine comme substance « type » caractérisant le traitement réservé aux autres psychotropes en médecine. La communication visera donc à montrer, à travers le cas de la morphine, comment la pratique médicale peut être durablement influencée par des croyances liées à des savoirs naïfs sur les psychédéliques dont l’utilité thérapeutique est pourtant désormais reconnue.
• Mechanisms of action and therapeutic potential of psychedelic drugs
Robin Carhart-Harris (Centre for Neuropsychopharmacology, Imperial College of London) :
o Première conférence en France de Robin Carhart-Harris, neuropsychopharmacologue administrant de la psilocybine à des patients et des volontaires dans le cadre de ses recherches biomédicales. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a permis des avancées significatives sur la compréhension de l’expérience psychédélique, dont il s’avère qu’elle possède des propriétés thérapeutiques sous certaines conditions qu’il convient de comprendre.
• Table ronde de l’après-midi, présidée par Bernard Bodo, Professeur de chimie des substances naturelles (MNHN). Discutants :
o Pierre Champy, Professeur de pharmacognosie (faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry)
o Alessandro Stella, historien (CRH, CNRS)
o Christian Sueur, psychiatre (Centre hospitalier Le Vinatier)