Vivons-nous les dernières générations d’une reproduction à l’ancienne, dite naturelle ?
D’ailleurs peut-on seulement se « reproduire » ? Existe-t-il un lien entre notre civilisation du marché et de la performance et l’évolution rapide de la médicalisation de la procréation dans toutes les sociétés développées de la planète ? Dans notre monde où les temples sont peu à peu désertés et où les supermarchés n’arrivent guère à les remplacer, la sacralité, attribuée autrefois de manière inconsciente à la succession des générations, pourrait bien succomber sous les impératifs de la rentabilité à tous crins.
Les biotechnologies sont là. Leur avancée ne se fait pas sur le mode d’une croissance habituelle mais bel et bien, ce qui est inédit et nous fait sous-estimer les enjeux, sur une courbe exponentielle. Les technologies se fécondent les unes les autres :
les nanotechnologies sont renforcées par l’informatique et la génétique embrasse goulûment l’essor des sciences cognitives. Cette convergence pourrait amener des arguments de plus en plus forts pour ne plus laisser le hasard sévir et altérer parfois la santé de nos enfants. Homo sapiens est « addict » de la maîtrise et celle de sa reproduction n’échappera pas à son ingéniosité. Au début pour de bonnes raisons, bien médicales et bien justifiées : éviter par exemple la transmission d’une maladie héréditaire, puis pour de moins bonnes raisons : améliorer les performances intellectuelles et sportives de nos enfants, voire pire encore.
Les biotechnologies sont là et elles se fécondent les unes les autres.
À l’heure où des laboratoires de biologie de la reproduction sont en train de fabriquer des ovules à partir des cellules de peau d’un homme et vice versa, à l’heure du copier-coller efficace et précis sur le génome et au moment où les États rivalisent d’ingéniosité pour disposer des meilleurs cerveaux et augmenter le nombre de leurs brevets pour mieux dominer le monde, tout concorde pour qu’on puisse prédire que les découvertes n’auront pas le temps de refroidir avant d’être essayées voire mises en œuvre. Et les comités d’éthique n’y pourront rien. Ils avaliseront d’autant plus vite les innovations biotechnologiques qu’elles constitueront dans un premier temps de réelles avancées médicales et que leurs retombées financières présumées seront susceptibles d’être importantes, plus tard. La reproduction pourrait donc se voir assignée à efficience par les règles de la production et du marché. Bien se reproduire pour fabriquer de bons producteurs et reproducteurs.
Ces thèmes sont dérangeants et c’est bien pourquoi le Forum Européen de Bioéthique décide cette année de s’en emparer en invitant les meilleurs spécialistes français et européens pour nous expliquer simplement où nous en sommes de ces découvertes et ce qu’il y a dans les cartons des chercheurs. D’autres sujets de l’actualité bioéthique seront aussi abordés et de nombreuses manières nouvelles de présenter les enjeux de la bioéthique seront inaugurées cette année, grâce au rajeunissement des cadres entrepris dans l’organisation du Forum. Permettre aux plus jeunes de participer aux débats, c’est la raison pour laquelle le Forum se poursuivra cette année jusqu’au dimanche inclus.
La reproduction pourrait donc se voir assignée à efficience par les règles de la production et du marché. Bien se reproduire pour fabriquer de bons producteurs et reproducteurs.
Prendre le temps de comprendre pour appliquer notre jugement individuel à ces perspectives qui concernent nos enfants et nos petits-enfants ne nous donnera pas forcément le pouvoir de modifier l’avenir. Mais que peut-on espérer de mieux d’une société que la lucidité devant ce qui se profile pour son propre avenir ? Le progrès scientifique n’est pas toujours un progrès pour l’homme. Poser les questions de ce que sera notre futur sans toutefois disposer toujours de réponses valables, un exercice difficile qui nécessite une grande maturité dont a fait preuve, au fil des sept années précédentes, le public du Forum Européen de Bioéthique.
Un millésime qui s’annonce donc aussi exceptionnel que les précédents qui pourra être suivi en direct sur internet mais aussi sur place (dans la grande salle de l’Aubette, place Kléber à Strasbourg du 30 janvier au 4 février 2018) dans une ambiance de débat et de respect mutuel qui a toujours été la marque de fabrique et la caractéristique du Forum Européen de Bioéthique.
Le Forum 2018 arrive et sera, comme à l’accoutumée, un grand moment pour la ville de Strasbourg, l’Eurométropole et la Région Grand Est qui ont toujours soutenu sans réserve cette manifestation unique en Europe, car elle contribue désormais à notre rayonnement collectif.